JOURNAL D'ÉMOIS

mercredi 26 août 2020

LE POTLATCH

photo Jean-Pierre Bronssard


Le Potlatch-Pièce en deux tableaux
Synopsis

Une femme est convoquée à une audition. Il y a dix ans qu’elle n’est pas montée sur scène. Deux hommes qui l’ont connue par le passé l’attendent. Est-ce pour la narguer, s’agit-il d’une véritable audition ? Veulent-ils qu’elle rachète une erreur du passé ? Y aura-t-il véritablement un projet théâtral au bout de cette longue audition ?
Que souhaitent-ils d’elle ?!

Il y aura ambiguïté. Ils la feront marcher. 
Qui gagnera le repos ?

Un fantôme hante l’ancien théâtre. Celui du Sergent détective William BoomBridge qui avait enquêté sur l’accident en 1977. Il est condamné à refaire l’interrogatoire s’il veut ne plus errer. En rétroaction il reposera les mêmes questions à Eva Desjardins. Elle y répondra. Eva est la seule qui perçoit la présence de Boombridge. Eva Desjardins n’a qu’un but en tête, réussir son audition. Elle y croit. Pendant le premier et le deuxième tableau elle se fera interrompre par les deux hommes. Elle finira par ne plus être en mesure de retourner à son texte; alors, dira son propre passé, son histoire à elle, ne ménageant plus d’avouer les détails de l’accident.


(Extrait : Monologue d’Eva Desjardins)

J’ai créé le vent, joué avec.
J’ai couché sur la houle et j’ai inventé un ressac en plein centre des océans.
Le cœur au vent, il n’y avait que l’horizon à regarder.
Durant 1000 jours, peut-être un peu plus,
j’ai quitté la terre ferme, celle où vous m’aviez clouée, parole contre parole, à poinçonner ma carte d’arrivée et de sortie.
Je voulais me taire. Faire du mutisme une arme redoutable. J’avais besoin de sentir qu’elle arriverait ; cette mort capricieuse que chacun craint ! Que tous ignorent, comme si elle n’allait pas venir.
Elle que j’avais honte d’attendre avec joie.
Les sourires et les politesses d’amphithéâtres où vous avez sculpté l’image du bonheur, m’ont fait chercher ailleurs.
Et ailleurs c’était là-bas.

Je suis partie sans donner à quiconque la clé de mon secret. Ni quidam de café, ni connaissance intime n’y était lié. Vous n’aurez pas su... ce que j’aurai tu. Et ! Seule, sans l’expérience de ce destin qui m’appelait, j’ai bravé le manque de borée, de bise, de brise.
J’ai vu ce que c’est que la véritable solitude. Je l’ai gagnée.
Oh ! Que je l’ai appréciée ! 
On avait tant pris de mes mots, de ma tendre innocence, de ces paroles, de ces gestes.
J’étais près des cendres quand vous m’avez fait monter comme une étoile.

Attendre, telle une poupée chiffon, incapable de se tenir fière et droite ! Je ne pouvais pas. 
Une marionnette sans petits fils...ça ne bouge pas sans éclairage ni trucage.

Là-bas, j’ai créé le vent, joué avec les voiles.
J’ai dormi sur la houle des semblants de tempêtes
et j’ai inventé un retour de vagues
en plein cœur
de la mer !
Les lèvres au vent,
il n’y avait que l’horizon à observer.

Je suis partie, cherchant l’Afrique. Mais l’Amérique n’avait plus de fin.
Quand j’ai pu gagner l’Europe, j’avais des ailes de fer sur le dos.
Mon bagage avait un poids.

Alors, j’ai affronté très tard la nuit, le foehn des helvètes.
Puis, plus tard, le schnouck d’un plat Canada qui se trahi et se déchire.
C’était trop tard pour les ouragans.
Mais pourtant, durant 1000 jours, peut-être un peu moins, j’ai navigué sur un monde marin qui m’avait tant fasciné, si longtemps.

Mon départ annoncé sans grande pompe, je partais.
C’était juillet, trois ans déjà.
Je quittais avec la ferme volonté de refermer sur moi un nouvel hymen.

Souvent, je dormais sur le ponton, bravant le danger !
J’aimais craindre de trébucher sans avoir PEUR de tomber.
Et c’est là que je titillais les limbes.
1000 jours j’ai gardé la barre à la main.
Mon voilier nommé Potlatch avait fière allure.
Comme celle d’un enfant destiné à devenir Chaman.
Neuf, sans expérience mais fort et volontaire.

J’attendais, mon visage fixant les quatre vents.
J’attendais Neptune qui annoncerait la tempête finale.
Mais ni le cri des sirènes ni le glas archaïque ne sont venus.
J’ai senti l’Amérique suinter ses odeurs de petites guéguerres jusque dans ma coque; 
pendant que le Soleil faisait son matador inébranlable,
du matin jusqu'au soir, tout le long de mon voyage.

Il n’a pas plu ! Pas du tout ! Il n’a qu’un peu venté.

J’aurais voulu qu’un torrent sorte du ciel ! Bon sang !
Qu’il pleuve à faire fondre, à faire fendre le bois de mon Potlatch.
J’aurais voulu que mon bateau s’agite jusqu’à ne pas laisser d’indices.
Son nom le prédestinait au naufrage ! Mais non...
Dieu qu’il a fait beau temps tout le temps.
Tant, qu’un désir est venu doucement m’habiter.
Le Désir.

En plongeant voir l’océan, aurais-je trouvé le silence que je cherchais ?
... Dans le fond...

Dans le fond de la mer, il n’existe pas le mot pour dire ce que je souhaitais gagner derrière mes voiles. Dans le fond du pair non plus. Ce n’est pas le silence, ce n’est pas ce que l’on nomme la paix du dedans... C’est plus ! Et puis... le silence existe-t-il ? Vraiment ? Quand j’y songe, lorsque l’on pense, on est loin de ne pas chercher. 

Regarder dans sa tête, n’est-ce pas parler à ses souvenirs ?
Une terre au fond de l’âme, voilà ce que je sentais m’habiter !

1000 jours, j’ai créé le vent, joué avec le sel.
J’ai reposé sur la couchette houleuse et j’ai voulu croire
qu’un ressac viendrait me chercher en pleine mer.

Après vingt ans de hargne contre le destin, les yeux sans larmes, mes cils battant au vent, 
maintenant, aujourd’hui, 
il n’y a que l’horizon à supporter. 

Je sors du bagne, les prisons sentent la peur et la sueur. 1000 jours, 
ancrée sur mon solide Potlatch; sans compter les minutes, 
sans engager de conversations audibles, 
j’ai jeté aux monstres marins les biens et les maux du passé.

Durant les jours, pendant les nuits, je naviguais loin des insulaires.
Tel un calvaire sans douleur possible, sans montagne atteignable.
L’appétit m’est resté dans le ventre! Comme pour me nourrir d’un voyage.
J’avais quitté la terra nullius, 
celle où vous m’aviez clouée, parole contre parole, à poinçonner ma carte d’entrée et de sortie.
Côté cours, côté jardin...
J’étais plantée au centre sans réplique.
Quel rôle !

Je voulais le mutisme. C’était un rêve d’aigle endeuillé.
Je n’étais pas l’aigle, mais une proie de mes exils !

Le souffle trop court pour un blasphème vous m’avez regardé prendre des valises trop petites pour ce périple.

La mort de Major ne peut pas se défaire. J’ai passé vingt ans à racheter sa vie. 
Voulez-vous la mienne ?

Me voilà de retour. Le Potlatch n’a pas été submergé.
Personne ne s’est noyé cette fois-ci.
Ni les choix, ni les âmes.
Je suis l’égale des vieux sages.
Je n’ai pas lâché l’hameçon sur mon cœur.
Je sais ce que j’ai vu à l’horizon, même si un exil peut se faire à la maison.

16 commentaires:

Anonyme a dit...

excellent, miss desvergers.

Karo Lego a dit...

Ton Potlach est encore et toujours aussi vivant:) J'ai mémoire d'une souérée d'été au Zibou...et soudain, la mélancolie. Tu me manques chère âmie.

Titif a dit...

Quelle volonté, quelle hargne, et surtout quelle FORCE !

lamber Savi a dit...

¨c'est magnifique comme ce que tu m'as envoyé merci ! allez je file avant que je parte en dyatribe , demain j'installe l'expo et après demain je déclame!
j'aurai tant de choses a dire !

Nina louVe a dit...

GMC: et ... les vers ?

Carolinade: Tu me manques aussi bellâmie. Mais je fais avec. Le temps ne compte pas, puisque nous sommes à fabriquer de nouveaux souvenirs et que.. on est heureuse chacune de notre bord de l'océan.

Ouaiiis.. au Zibou c'était sympathique à souhaits. Cette "Soirée Moulin à Paroles" aura permis la rencontre de la spectatrice et de la conteuse. You chère amie et mia moi. Il est beau le hasard des rencontres.

Titif : C'est incroyable comme la Nina parfois est lente. J'ai commencé cette pièce en 1999 et l'achève maintenant. Je t'enverrai en perso le texte quand j'en serai enfin satisfaite. N'étais pas habituée à mettre en mots plusieurs personnages. Un défi du tonnerre !!

Alo: Demain !!! Demain le jour Joie ?!
Cambrone...........!!

Anonyme a dit...

en commentaire sur les vieux textes, ça manque de fraîcheur...

mais gmc accepte avec plaisir vos commentaires poétiques sur les textes du blog gmc...

Anonyme a dit...

Je passe vous faire un petit coucou, je me repose pendant quelques jours. Bises à vous Nina.

Anonyme a dit...

La fougue se transmet...si, si: à travers les mots. L'énergie passe, traverse l'océan, et vient ébranler les membranes de la lectrice tranquille assise devant son écran gris.

Amitié Nina

P. P. Lemoqeur a dit...

Bonjour, les giboulées sont là.
(Rien à voir)

Pourquoi ce titre "Potlach" ?

P. P. Lemoqeur a dit...

Dites donc, Nina-dear, vous avez de drôles de choix musicaux ce matin !

Pourquoi diffuser cette kolossale fiente musicale de Orff dont le principal défaut n'était pas d'être inscrit au parti nazi, mais un musicien détestable et chéri du Führer lui-même qui ayant en tout un goût de chiotte le préférait encore à Wagner, quand on peut écouter les vrais Carmina Burana, ceux du Codex Buranus de Benediktbeuern qui ont été enregistrés très bien dans les années soixante-dix par le Clemencic Consort.

Allez, bises néanmoins !

Anonyme a dit...

Super bon texte Nina.
“Je sais ce que j’ai vu à l’horizon, même si un exil peut se faire à la maison.” Cette phrase m'a énormément touchée. Oui, l'exil peut se faire n'importe où. Il peut être en nous.

PS : je constate que votre vocabulaire arabe est devenu aussi riche que le mien J. Ça m’impressionne. Bravo ya saidati.

Anonyme a dit...

http://www.youtube.com/watch?v=6gmP4nk0EOE

lamber Savi a dit...

recoucou à la bavaroise nina ça y est j'ai mangé , quelle vie , bon j voulais te dire que j'ai mis des photos de mon expo avec ma tronchette en prime sur mon blog ,
je veux déclâmer!http://aloredelam.hautetfort.com

Anonyme a dit...

très beau texte
merci Nina Louve et ravi de la rencontre

Anonyme a dit...

Quelle force, quelle femme... Je vous embrasse Nina.

Nina louVe a dit...

Déjà mars, le 6. Bon. Pour les européens qui me décrivent leur 20 degré sous le soleil de samedi passé...
je rétorque
ici toooooday -28 avec un vent plein nord, les mains qui saignent au bout de 2 minutes sans mitaines. Brrr!

Delphinium, Alex, Chris, Alo... des p'tits sourires...

PP: Si vous repassez..
Potlach pourquoi ? Symbolique noyade détachement. Le potlach est une cérémonie amérindienne étalée sur 3 ou 7 jours où plusieurs tribus s'offrent l'une à l'autre des présents. Des sculptures, peintures, dessins.. Puis, à fin de la longue fête tous les "trésors" sont jetés à l'eau, pour montrer le détachement aux biens matériels.

Les potlachs furent interdits au Canada par le gouvernement fédéral des années 1950 quelques jusqu'aux années 1970.

Dans le langage oral, il m'arrive d'entendre des gens dire potlach pour écot, bien apporté lors d'un repas…

Le voilier nommé Potlach pour noyade, détachement. Car c’est bien là que le personnage d’Eva Desjardins voulait aller, au fond du pair puis… de la mer. « j’aime craindre de trébucher, sans avoir peur de tomber ».

Tant qu'à la musique de Carl Orff, c'est l'interprétation qui m'ait fait le plus de frissons. J'en ai écouté plusieurs, souvent, longuement, avec attention. Je ne connaissais ni l'homme derrière ni son passé fou laid. Pas cherché qui il était. La musique seule me satisfait. Pas le nom ni le visage de celui ou celle qui la mise sur disque. La musique seule. Quand j'aime une oeuvre, ce n'est pas l'homme ou la femme qui l'a fait que je j’admire. Je me contente de l’émerveillement. Mais j’irai écouter celle que vous me proposez.

voisinedulab:
Un exil peut se faire à la maison... Au fond de soi.
oui.
C'est bien là la phrase moteur, le carburant de toute la pièce.

De toute une vie...

Effectivement, naâm, j'apprends de plus en plus de mots de votre langue. Grâce à un ami Tunésien, je viens de lire le poète que vous m'aviez suggéré au mois d'octobre. J'en pleure. C'est booonnn.

sadaaka